Le chemin VS le cygne noir
Au combat aujourd’hui : « Le cygne noir » de Nassim Nicholas TALEB et « Le chemin de la moindre résistance » de Robert FRITZ. C’est dans la catégorie bien particulière des livres INDIGESTES que s’affrontent ces deux ouvrages. Et oui, ça n’est pas un choc des concepts que je vous propose, mais plutôt un article qui couvrira les livres sous deux aspects : la critique de la forme et la présentation des concepts qu’ils contiennent…
Sur la forme…
Comme je vous l’ai déjà dit un peu plus haut, ces deux livres sont littéralement indigestes. Pour le chemin de la moindre résistance, il m’a fallu m’y mettre à 4 fois pour « rentrer » dedans ; quant au cygne noir, toutes les deux pages j’étais tenté d’en sauter cinq… Mais vous le croirez ou non, je les ai lus en intégralité. Et aujourd’hui que la lecture de ces deux livres est finie, je suis bien content d’avoir pris autant de notes, car seuls les concepts intégrés dans les titres respectifs des deux livres me restent à l’esprit… Bref, ces deux livres, malgré le talent de leur auteur, sont vraiment très mal foutus. Aucune structure cohérente, pas de liens apparents entre les différents chapitres, voire même parfois entre les différents paragraphes. Je pense notamment à Taleb qui passe du coq-à-l’âne sans que l’on comprenne pourquoi. J’ai même souvenir de moments où je ne voyais plus le lien entre le sujet du livre et ce qui était écrit…
Sur le fond…
Alors, vous me direz, quel est l’intérêt de parler de ces livres s’ils sont aussi imbitables !? Et bien précisément parce que les concepts qu’ils présentent sont à la hauteur du bordel qui règne dans ces deux livres. Plus encore, à la lecture de chacun de ces deux ouvrages, vous serez à l’affût dans votre entourage à tout ce qui pourrait ressemble de près ou de loin à un cygne noir où à un chemin de la moindre résistance… Autre petit détail important, ces deux livres parlent de systémique sans jamais évoquer le terme… Étrange… Peut-être les auteurs souhaitaient-ils préserver leur lectorat d’une complexité supplémentaire…!? ;-P
Le chemin de la moindre résistance…
Commençons par « Le Chemin de la moindre résistance ». Le concept du chemin de la moindre résistance présente le fait que c’est la structure du système qui induit les comportements des éléments qui le composent et non le contraire. Ce qui signifie que nos comportements dépendent davantage de l’environnement structurel qui nous entoure plus que de nos choix conscients. Le « plus » est important, car cela signifie que nous bénéficions toujours de notre libre arbitre, mais seulement ce libre arbitre et la rationalité dans nos décisions ne sont pas toujours utilisés à bon escient. Bref, on est loin du concept des béhavioristes qui ramènent l’Homme à l’état d’animal qui se limiterait à répondre à la théorie du stimulus-réponse. Non, FRITZ, au contraire, nous indique qu’il nous appartient de changer la structure de notre environnement pour que tous les comportements se mettent en phase avec cette structure et nous permettre d’atteindre l’objectif fixé. L’auteur ne parle pas vraiment d’objectif, mais plutôt de Vision. Penser en terme de vision, c’est se projeter vers l’avenir et tout mettre en oeuvre pour l’atteindre plutôt que de partir de l’existant pour le transforme en quelque chose de meilleur. Partir de l’existant c’est conserver la structure actuelle du système et y opérer des tensions qui à terme ramèneront le système dans son état initial. En systémique cela se nomme l’homéostasie.
Exemples de chemins et de tensions…
Pour être plus concret, voici quelques chemins de la moindre résistance que j’ai identifiés.
- Lorsque les parlementaires se pointent à l’Assemblée nationale le mercredi et la désertent les autres jours, ils répondent à une tension (provoquée par la présence des caméras), une fois cette variable disparue (les autres jours), le chemin de la moindre résistance reprend le dessus et permet aux parlementaires de vaquer à des occupations qui les intéressent plus.
- Lorsqu’une grande campagne de sensibilisation est lancée pour réduire la vitesse de conduite des automobilistes, que cette action est suivie par la mise en place des radars. C’est une tension qui est créée et qui oblige les automobilistes à réduire de manière effective leur vitesse de conduite. Mais la structure même du système n’est pas changée si bien que lorsque là tension se relâche (connaissance du positionnement des radars, accessoires qui permettent de les identifier à l’avance…etc.), la courbe du nombre d’accidents repart à la hausse !
Si vous souhaitez en savoir davantage sur ce livre, je vous recommande très vivement la lecture du résumé très détaillé d’Olivier sur son blog « Des Livres pour changer de vie »
Vous pouvez aussi l’acheter… ;-P
Le Cygne Noir…
Bon nombre de personnes ont dans l’idée que tous les cygnes sont blancs. C’est ainsi, c’est inscrit dans l’inconscient collectif. Il se trouve qu’à chaque fois que nous croisons un cygne blanc, nous nous renforçons dans l’idée que tous les cygnes sont blancs. Ainsi notre l’empirisme naïf qui nous est naturel, nous amène à confirmer des représentations du monde qui sont erronées. Bienvenue au médiocristant ! Le problème c’est que le jour où l’on croise un cygne noir, nous sommes bien embêtés, car toute notre représentation s’écroule d’un seul coup…
Voici un deuxième exemple pour que vous puissiez vous imprégner un peu plus du concept du cygne noir. Une volaille posée dans un poulailler sera dans un premier temps assez craintive lorsque le fermier pointera son nez pour lui apporter à manger. Puis chaque jour qui passera lui permettra de gagner en confiance face à l’arrivée de cet être humain. C’est ainsi qu’après 999 jours, la volaille est plus que jamais auparavant à l’aise à l’arrivée du fermier. Arrive alors le 1000ème jour où le fermier se pointera comme à l’accoutumée, mais cette fois-ci pour passer le bestiau à la casserole plutôt que lui apporter sa ration quotidienne.
Du vécu…
Un troisième exemple et c’est le dernier… Je vous le raconte, car c’est du vécu et c’est très récent (le 15 août précisément). De retour de vacances, nous passons faire une escale chez la belle-famille (oui je sais, je casse un mythe là..! ;-P ). Il se trouve que mes beaux parents jouent au tiercé tous les week-ends… Ils se sont retrouvés face à un cygne noir sans le savoir. Figurez-vous que la veille, les juges ont fait une erreur dans la validation de l’ordre d’arrivée. Je ne sais pas si c’était déjà arrivé, mais je peux vous promettre que j’ai du entendre dire « Ca n’était jamais arrivé avant !!! » une bonne dizaine de fois ce jour-là. Imaginez tout ce qui s’en est suivi… La chance de ceux qui avaient placé le 4ème cheval et qui sont passés récolter des sous qu’ils n’avaient pas gagnés… T’imagines ceux qui ont déchiré leur ticket alors qu’ils avaient les 3 chevaux du tiercé… Il devait y avoir un paquet de monde pour vérifier les tickets parterre hier…etc. Bref autant de réactions désabusées face à un cygne noir.
Deux messages à retenir…
- D’une part, il faut arrêter de penser que nous sommes en capacité de prévoir l’avenir. La crise dans laquelle nous sommes aujourd’hui en est encore une belle preuve. Il faut être humble quant à notre capacité de prévoir l’avenir sur la base des éléments passés.
- D’autre part, une fois que nous avons pris conscience que les cygnes noirs existaient, alors il s’agit de faire en sorte de s’exposer aux cygnes noirs positifs plutôt qu’aux négatifs, voire d’être à l’affût du moindre cygne noir pour attraper les opportunités quand les autres restes béa de déconcertation.
Si vous souhaitez approfondir la question du cygne noir, je vous conseille de lire la nouvelle d’Alexande Delivré en 4 épisodes (1er, 2ème, 3ème et 4ème).
Et pour en savoir davantage encore, vous pouvez vous attaquer à ce livre indigeste… ;-P Après tout, peut-être qu’en français il passe mieux… (C’est un des rares livres que j’envisage de racheter en français… c’est vous dire s’il est riche… même si c’est le foutoir à l’intérieur…! ;-)
Concernant l’évaluation de ces deux livres, j’ajouterais bien le Cygne Noir dans le PMBA mais à vrai dire je ne saurai pas quelle catégorie lui affecter… Pour le chemin de la moindre résistance, il me semble que ce livre n’a rien à y faire, non pas qu’il ne soit pas assez intéressant mais son « inaccessibilité » et les redondances qu’il intègre ne sont pas en cohérence avec l’idée d’efficience du PMBA… Je lui préfèrerais la 5ème Discipline de Peter SENGE qui reprend la plupart des grands concepts de « The Path of Least Resistance » (abondament cité) et va au même bien au delà, mais j’aurai l’occasion d’en reparler je pense…
6 commentaires
Merci Florent pour ton article !
Et merci également pour les liens vers mon histoire sur le « Cygne Noir », ça m’a fait vraiment plaisir.
Je vois que tu as constaté tout comme moi le manque de structure du livre de N. Taleb, mais tout de même, il m’a bien fait réfléchir. En plus, le concept du spécialiste qui se « trompe avec une précision infinie » est tellement vrai dans le monde de l’entreprise, même les petites (des technologies et des outils mathématiques et comptables d’une grande précision, mais des résultats totalement aléatoires à cause des inévitables Cygnes Noirs). Ces outils sont efficaces seulement s’ils sont utilisés par quelqu’un de prudent. Voilà en gros ma conclusion appliquée à l’entreprise.
Ah et pour ta remarque concernant les auteurs qui appliquent la systémique sans la citer, je suis d’accord avec toi, ça arrive souvent. Je pense tout simplement qu’ils ne connaissent pas cette méthode (car on ne l’apprend pas habituellement), mais ils l’appliquent sans le savoir. A une époque je travaillais pour des chercheurs en écologie au CNRS, j’ai remarqué avec étonnement qu’ils n’avaient jamais entendu parler de la systémique, et pourtant ils l’utilisaient tous les jours sans le savoir (car l’étude des écosystèmes sans systémique c’est bizarre quand même…). L’avantage de connaitre la systémique, c’est que la méthode est formalisée et plus pratique et rapide à utiliser (un peu comme le processus de pensée de E. Goldratt dans la TOC).
Bon, je m’arrête d’écrire, ce n’est qu’un commentaire après tout ! Merci encore pour ton travail Florent, tu me permets d’en apprendre plus (cela vaut beaucoup plus que tout le reste).
A bientôt.
Alexandre
Posté le 8 septembre 2009 à 19 h 32 min
Merci à toi Alexandre de m’avoir donné envie de lire « Le Cygne Noir » avec ta petite nouvelle…!
Quand tu parles de la méthode formalisée… tu évoques celle présentée par Dominique BERIOT dans son livre « Manager par l’approche systémique » ? Ou tu penses à autre chose ? Parce que pour moi la systémique c’est surtout vaste domaine où l’on a vite fait de se perdre…
Au plaisir de te lire.
Posté le 9 septembre 2009 à 8 h 39 min
Bonjour Florent,
En fait quand je pense à la formalisation de la systémique je ne pense pas en priorité à celle évoquée par D. BERIOT, car je ne l’utilise pas sous cette forme. En fait, à l’époque je me suis inspiré du livre de J-L. LE MOIGNE, « La théorie du système général », disponible gratuitement à cette adresse: http://www.mcxapc.org/ouvrages.php?a=display&ID=48
Dans ce livre, j’ai découvert l’utilité de la représentation par des « processeurs » (ou processus) uniquement. C’est à dire qu’il n’y a plus de « flêches » qui présupposent un processus, il est directement représenté par une « boîte » supplémentaire (en gros toutes les étapes sans exception sont représentées). Ensuite, il m’a donné l’idée des 3 processus élémentaires (le livre apporte des précisions pour ceux qui sont intéressés). Pendant mon mémoire je me suis donc creusé la cervelle, ce qui fut long, pour utiliser une représentation qui utiliserait uniquement ces processus élémentaires, et qui serait parlante et utile pour tous les scientifiques de chaque laboratoire (ce mémoire leur était destiné et donc s’adressait à eux en priorité…)
C’est cette manière de représenter qui est dans ma tête désormais, mais elle a un défaut: elle est encore longue à représenter sur des logiciels basiques comme PowerPoint ou même une feuille. J’ai maintenant l’habitude de l’utiliser pour moi et pour expliquer des morceaux spécifiques aux gens, mais faire un système entier me prend beaucoup de temps. A ce sujet j’ai (re)découvert les arbres du « thinking process » de Goldratt, c’est assez fascinant le parallèle que l’on peut faire avec la représentation systèmique. Je suis en train de creuser la question et je te tiendrai au courant si je découvre quelque-chose d’intéressant de ce côté là.
Bon courage à toi pour la suite !
Posté le 10 septembre 2009 à 12 h 16 min
C’est marrant… En espérant trouver ce type de formalisation, j’ai acheté et lu « La modélisation des systèmes complexes » du même auteur sans y trouver exactement ce que je cherchais… Je suis quand même très content de l’avoir lu, j’y ai appris énormément…!
Je vais donc acheter (la commande est déjà passée) cet ouvrage qui me permettra d’assoir un peu plus mes connaissances en systémique…! ;-P
Pour le « thinking process », je suis assez d’accord avec toi. Pour moi cet outil fait un pont entre les 5 whys jumelé au mind map (cf mon article ici : http://leansixsigma.free.fr/?p=79 ) et la systémique… Je pense que je vais bientôt creuser la question…
Bref il nous assez d’outils et de concepts à nous mettre sous la dent pendant un bon moment…! ;-)
Au plaisir de te lire.
Posté le 10 septembre 2009 à 14 h 02 min
Je ne suis pas d’accord sur le qualificatif d’indigeste pour « Le cygne noir »: http://organisationarchitecture.blogspot.com/2009/05/simulation-jeux-et-previsions-face.html
Mais c’est probablement un critère subjectif. Je vous recommande « Fooled by randomness », qui est probablement plus clair.
Pour ce qui est de Lemoigne, c’est différent, c’est effectivement difficile à lire quand on commence :) ce n’est qu’après un peu de réflexion et d’expérience qu’on commence à apprécier l’effort de synthèse.
En fait, il est plus facile de commencer par les livres de systémique appliquée. Cf.
http://organisationarchitecture.blogspot.com/2008/10/entreprise-et-systmes-complexes.html
En tout cas, je suis ravi d’avoir découvert ce blog !
Bien cordialement,
– Yves
Posté le 17 octobre 2009 à 9 h 07 min
Bonjour Yves,
Deux commentaires dans la même journée qui mentionnent votre intérêt pour mes deux blogs… Ca fait plaisir à lire…! ;-) J’avoue être un lecteur très assidu de votre blog… Et j’avoue qu’il me tarde que vous repreniez la plume pour que mes pérégrinations numériques redeviennent de l’investissement intellectuel…
Après ces éloges, je souhaiterais revenir sur votre commentaire :
Il est vrai que le qualificatif d’indigeste est un peu dur et définitivement « subjectif ». J’invoque à la fin de mon article une responsabilité personnelle de mon inconfort à lire un anglais aussi poussé que celui de Taleb… Peut-être aurais-je été moins cinglant si j’avais lu l’ouvrage en français. Je tiens à souligner de nouveau cette responsabilité.
Pour le livre « Fooled by randomness », je vais l’ajouter à ma liste en attente (très longue)…
J’avais déjà lu vos articles, je les redécouvre avec joie !
Juste pour rebondir sur votre conclusion de votre article sur les systèmes et le Lean, je vous recommande la lecture de mon article « Le LSS a le cul entre deux chaises » (http://leansixsigma.free.fr/?p=284) où je reprends les étapes du DMAIC au prisme de la systémique.
Au plaisir de vous lire.
Posté le 17 octobre 2009 à 11 h 24 min