La parabole des deux horlogers
Je vous propose aujourd’hui une petite intrigue autour de la parabole des deux horlogers…
Connaissez-vous cette petite histoire…? Figurez-vous qu’il y a un mois elle m’était complètement inconnue… Mais le hasard de mes lectures a corrigé le problème, car ça n’est pas moins de quatre fois que cette petite fable s’est présentée à moi.
La première rencontre avec ces deux horlogers s’est faites dans le « Que sais-je » sur « La systémique » de Daniel DURAND. Voici comment il conte l’histoire :
…celle de deux horlogers également habiles qui montaient les mêmes montres. L’un précédait pièce à pièce sans étape intermédiaire ; l’autre commençait par monter des sous-ensembles qu’il assemblait ensuite. Le premier fit rapidement faillite car, faute d’organisation, il mettait beaucoup plus de temps à terminer une montre que son concurrent.
Voilà… La parabole est parlante, mais vous avouerez que c’est un peu court… L’idée de cette parabole est de démontrer l’efficacité des organisations hiérarchiques dans les systèmes. Alors pour creuser un peu cette idée, je me suis procuré le livre cité dans le « Que sais-je »… Il s’agissait d »Un cheval dans la locomotive » d’Arthur KOESTLER.
Je dois avouer que je n’ai pas été déçu ! Ce livre est une vraie perle et effectivement il présente très bien le concept de hiérarchisation de l’organisation des systèmes. Mais revenons-en à notre parabole… L’auteur la présente ainsi :
Il était une fois en suisse deux horlogers, nommés Bios et Mekhos, qui fabriquaient des montres très précieuses. Leurs noms paraissent peut-être bizarres : c’est que leur papa savaient un peu de grec et aimaient beaucoup les devinettes. L’un et l’autre vendaient fort aisément leurs montres, et pourtant, alors que Bios s’enrichissait, Mekhos besognait péniblement : un beau jour, il dut fermer boutique et chercher un emploi chez son concurrent. On s’interrogea longtemps sur cette histoire et pour finir on en trouva l’explication qui est surprenante et très simple.
Les montres de nos deux Suisses comportaient environ 1000 pièces chacune, mais pour les assembler ils avaient des méthodes très différentes. Mekhos les montait une à une, comme s’il faisait une mosaïque, si bien que chaque fois qu’on le dérangeait dans son travail la montre qu’il avait commencée se défaisait entièrement et ensuite il fallait reprendre au début. Bios au contraire, avait imaginé de fabriquer ses montres en construisant des sous-ensembles de 10 pièces solidement arrangées en unités indépendantes. Dis sous-ensemble pouvaient se monter en un sous-système supérieur, et dix sous-systèmes faisaient une montre. Cette méthode avait deux immenses avantages.
En premier lieu, en cas d’interruption, quand Bios devait reposer la montre commencée, celle-ci ne se décomposait nullement en parcelles ; au lieu de tout recommencer, l’horloger n’avait qu’à rassembler les sous-ensembles sur lesquels il travaillait avant ; de sorte qu’au pire (si on le dérangeait au moment où il avait presque fini le montage du sous-ensemble) il lui fallait répéter neuf opérations de montage et au mieux, aucune. Et il serait facile de démontrer mathématiquement que si une montre comporte un millier de pièces et qu’en moyenne il se produit une interruption sur 100 opérations de montage il faudra à Mekhos 4000 fois plus de temps qu’à Bios pour fabriquer la montre : 11 ans au lieu d’un jour.
Vous aurez remarqué comme Arthur KOESTLER est plus sexy dans son récit que Daniel DURAND dans son « Que sais-je »… Mais ne lui faisons pas de mauvais procès… Un « Que sais-je » se doit d’être synthétique… Synthétique oui… Mais exacte dans ses sources aussi…! Car figurez-vous que Koestler avant de présenter cette petite histoire, cite le « Professeur H. A. Simon »… Tiens, tiens, tiens, Koestler ne serait donc pas à l’origine de cette belle histoire. Cela tombe bien : cela faisait longtemps que je souhaitais lire « Les sciences de l’artificiel » d’ Herbert A. Simon… ;-P
Et me voilà parti dans un nième livre sur la systémique… Et c’est à la page 327 du livre que je retombe sur ma fameuse parabole des deux horlogers… Bizarrement leur nom a changé… En fait, il ne s’agissait pas de Bios et Mekhos… Initialement, nos deux horlogers s’appelaient Hora et Tempus. SIMON est beaucoup plus succinct dans son récit, mais en revanche il s’étend très longuement sur les calculs mathématiques évoqués par KOESTLER… Évidemment, je vais vous épargner ce passage…
Je ne sais pas si vous savez, mais pour qu’une idée soit mémorisée, celle-ci doit stimuler notre cerveau au moins trois fois. Vous ferez attention la prochaine fois que vous écouterez un politique à la télévision ou à la radio, et vous remarquerez que les idées fortes qu’il souhaite faire passer sont énoncées trois fois, de manière très rapprochée. Lorsqu’on le sait on peut avoir le sentiment que la personne se répète, mais en faite nous n’y faisons même pas attention. Je vous parle de biais de notre perception, car avant d’avoir lu cette histoire trois fois je ne m’en rappelais pas… Et c’est en lisant « Thinking in system » (du PMBA) que j’ai lu cette petite fable pour la quatrième fois ce qui m’a rappelé son existence dans les 3 livres précédemment cités.
Systèmes imbriqués
La parabole des horlogers permet de nous faire prendre conscience que les systèmes se régulent du fait qu’ils sont à la fois tout et partie. Tout système comporte des sous-systèmes et tout système est le sous-système d’un système plus vaste. Le système solaire est composé de planètes dont fait partie la terre, la terre est composée d’êtres vivants dont font partie les hommes, les hommes sont composés d’organes, ceux-ci sont composés cellules…etc.
Dans les systèmes organisationnels que représentent les entreprises, cette hiérarchie s’illustre par la structuration en service et en niveau hiérarchique. Imaginez deux secondes une entreprise qui fonctionnerait sans niveaux hiérarchiques… Celle-ci ne pourrait survivre longtemps…!
Le système et son environnement
Autre point important, un système est autonome et dois se protéger de l’extérieur pour conserver son équilibre. Mais de la même façon, un système doit être ouvert sur l’extérieur afin de réguler ses comportements en fonction des contraintes imposées par son environnement. Par exemple, une entreprise qui travaillerait dans son coin sans jamais se soucier de ce qu’il se passe sur son marché finirait par proposer des produits et des services qui ne correspondent plus aux attentes des clients. De la même façon, une entreprise qui passerait son temps à observer les marchés et à tenter de répondre à toutes les attentes de celui-ci disparaitrait assez vite du fait de son instabilité.
Nous parlions du système au niveau de l’entreprise, mais c’est la même chose à l’intérieur de l’entreprise. Les services constituent des systèmes à part entière. Donc pour rester stables et conserver leur efficacité ils doivent garder une certaine autonomie. Mais en même temps si chaque service travail dans son coin, à loin terme, c’est la survie du système plus global de l’entreprise qui est en péril. Donc, les sous parties peuvent à la fois être fermés au monde extérieur et à la fois complètement ouvert pour assurer la même pérennité du système. Voilà pourquoi, selon les cas, il faut savoir parfois isoler ou décloisonner certains services entre eux. Par exemple, il peut être bénéfique d’isoler le service commercial pour qu’il ne s’occupe que de la vente sans se préoccuper des contraintes logistiques. De la même façon, il pourrait être bénéfique de décloisonner le service marketing avec la R&D pour qu’ils partagent davantage et que les produits en développement s’acheminent plus rapidement vers des besoins exprimés par les clients.
Si on récapitule…
- Tout système est à la fois tout et partie
- Tout système est à la fois fermé et ouvert
- Tout système est à la fois autonome et dépendant
- Tout système est à la fois stable et instable
- …etc. (Je me cantonne aux propriétés exposées dans cet article)
Bienvenu dans la systémique, l’étude de la complexité…
Aux plus courageux qui auront lu l’intégralité de cet article, je dis : à bientôt pour de nouvelles histoires de littérature de management…! ;-P
1 commentaire
la complexité et la fragilité
Votre analyse me rappelle un texte sur les contraintes liées à la complexité :
« « Durant les 10 000 dernières années, la résolution des problèmes a produit une complexité croissante dans les sociétés humaines », remarque Joseph Tainter, un archéologue de l’Université de l’Utah, à Salt Lake City, et auteur de l’ouvrage L’Effondrement des Sociétés Complexes.
Si les récoltes périclitent parce que les pluies sont irrégulières, il faut construire des canaux d’irrigation. Quand ils s’envasent, il faut organiser des équipes de curage. Lorsque l’amélioration du rendement des cultures autorise une population plus nombreuse, il faut construire davantage de canaux. Quand l’étendue du réseau de canaux ne permet plus de se satisfaire de réparations ponctuelles, il faut mettre en place une bureaucratie de gestion, et la financer en levant l’impôt sur la population. Quand la population se plaint, il faut créer des inspecteurs des impôts et un système de comptabilité des sommes perçues. Tout cela était déjà bien connu des Sumériens.
Rendements décroissants
Il y a cependant un prix à payer. Chaque couche supplémentaire ajoutée à l’organisation impose un coût en terme d’énergie, l’unité de compte de tous les efforts humains, que ce soient la construction de canaux ou l’éducation des scribes. M. Tainter s’est aperçu qu’une complexité croissante entraîne des rendements décroissants. Le supplément de nourriture produite par chaque heure supplémentaire de travail – les joules d’énergie investis pour cultiver un hectare – diminue à mesure que cet investissement s’accroît. Nous assistons aujourd’hui au même phénomène avec la baisse du nombre de brevets par dollar investi dans la recherche au fur et à mesure de l’augmentation des investissements qui y sont consacrés. Cette loi des rendements décroissants semble être présente partout, note M. Tainter.
Pour continuer de croître, les sociétés doivent continuer à résoudre les problèmes à mesure qu’ils surviennent. Pourtant, chaque problème résolu signifie plus de complexité. Le succès induit une population plus nombreuse, plus de spécialistes, plus de ressources à gérer, plus d’informations à traiter – et, in fine, moins de retour sur l’argent dépensé.
Au bout du compte, estime M. Tainter, on atteint un point où toutes les énergies et les ressources à la disposition d’une société sont nécessaires uniquement pour maintenir son niveau actuel de complexité. Puis, quand le climat change ou qu’arrivent les barbares, les institutions proches du point de rupture s’effondrent et l’ordre civil avec elles. Ce qui émerge ensuite c’est une société moins complexe, organisée sur une plus petite échelle, ou qui est dirigée par un autre groupe.
M. Tainter voit dans les rendements décroissants la raison sous-jacente de l’effondrement de toutes les civilisations anciennes, des premières dynasties chinoises à la cité-état grecque de Mycènes. Ces civilisations, utilisaient l’énergie solaire sous la forme de cultures et de récoltes de nourriture, de fourrage et de bois, ainsi que l’énergie du vent. Lorsque ces ressources ont atteints leurs limites, le système s’est brisé.
La civilisation industrielle occidentale est devenue plus grande et plus complexe que toute les précédentes grâce à l’exploitation de nouvelles sources d’énergie, notamment le charbon et le pétrole, mais elles sont limitées. On observe de plus en plus de manifestations de la loi des rendements décroissants : l’énergie nécessaire pour obtenir chaque nouveau joule de pétrole augmente et bien que la production alimentaire mondiale ne cesse de croître, une innovation constante est nécessaire pour faire face à la dégradation de l’environnement et l’évolution des parasites et des maladies – le rendement par unité d’investissement dans l’innovation est en régression. « Dans la mesure où les problèmes sont inévitables », prévient M. Tainter, « ce processus est en partie inéluctable. »
M. Tainter a-t-il raison ? Une analyse des systèmes complexes a conduit Yaneer Bar-Yam, dirigeant du Complex Systems Institute de Cambridge, Massachusetts, à la même conclusion que celle à laquelle M. Tainter est parvenue en étudiant l’histoire. Les organisations sociales deviennent sans cesse plus complexes car elles doivent traiter à la fois des problèmes d’environnement et relever les défis posés par les sociétés des pays voisins qui sont également de plus en plus complexes, explique M. Bar-Yam. Cela mène au bout du compte à un changement fondamental dans la manière dont la société est organisée.
« Pour piloter une hiérarchie, les dirigeants ne peuvent pas être moins sophistiqués que le système qu’ils pilotent », explique M. Bar-Yam. Quand la complexité augmente, les sociétés doivent ajouter de plus en plus de niveaux de gestion, mais, en fin de compte dans une hiérarchie, un individu doit tenter de conserver une vue d’ensemble, et cela commence à devenir impossible. À ce moment-là, les hiérarchies cèdent leur place à des réseaux dans lesquels la prise de décision est distribuée. Nous en sommes à ce point.
La transformation des organisations en direction des réseaux décentralisés a donné naissance à l’idée largement répandue que la société moderne est plus résistante que les anciens systèmes hiérarchiques. « Je ne prévois pas un effondrement de la société en raison de la complexité accrue », déclare le futurologue et consultant pour l’industrie Ray Hammond. « Notre force réside dans notre prise de décision très distribuée. » Ceci rend les sociétés occidentales modernes plus résistants que celles dans lesquelles la prise de décision était centralisée, comme dans l’ancienne Union soviétique.
Les choses ne sont pas aussi simples que cela, remarque Thomas Homer-Dixon, politologue à l’Université de Toronto et auteur en 2006 du livre The Upside of Down. « Initialement, l’accroissement de la connectivité et de la diversité est une aide : si un village souffre d’une mauvaise récolte, il peut se procurer de la nourriture auprès d’un autre village. »
Cependant, avec l’augmentation des connexions les systèmes en réseau deviennent de plus en plus fortement couplés. Cela signifie que les impacts des défaillances peuvent se propager : plus ces deux villages deviennent fortement dépendants l’un de l’autre et plus les deux souffriront si l’un rencontre un problème. « La complexité conduit à plus grande vulnérabilité à certains égards », explique M.Bar-Yam. « Cet aspect est assez peu compris. » »
source :http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1883&var_recherche=les+soci%E9t%E9s+meurent+aussi
Posté le 1 octobre 2009 à 11 h 44 min