L’énigmatique Goldratt – Episode 5 – Le territoire de Goldratt en Systémie
Nous voilà au terme de ce marathon intellectuel qui consistait à revisiter les travaux de Goldratt au prisme de la pensée systémique pour mieux évaluer ce qui relève de l’œuvre de Goldratt au sein du paradigme systémique.
Synthèse nécessaire…
Si nous devions faire une courte synthèse, je vous rappelle que dans un premier article nous avons démontré en quoi la TOC reposait sur la boucle de rétroaction négative qui régule le système entreprise. Nous avons ensuite vu que la notion de complexité n’éloignait en rien l’approche de Goldratt et l’approche systémique. Puis la présentation du thinking process, nous aura permis d’évaluer le niveau de valeur ajoutée apporté par Goldratt sur les outils de formalisation (Faible) et sur les méthodes systématiques (Fort). Enfin, l’analyse de l’evaporing cloud nous aura permis de déceler certaines brèches dans l’approche de Goldratt. Approche qui au final part d’une connaissance précieuse en cybernétique, mais peu approfondie par la suite par les avancées offertes par la pensée systémique et la pensée complexe.
Le territoire de la systémique, bac à sable de notre ami Goldratt…
Après ce large tour d’horizon non exhaustif (par exemple, je n’ai pas évoqué le travail de Goldratt sur le « chemin critique » qui est une utilisation des principes de la TOC sur la gestion de projet…) Je vous propose de dresser la carte de l’oeuvre de Goldratt en contraste des autres méthodes/outils de management.
Sur cette carte vous pouvez visualiser une première couche (celle du dessus) qui présente les différents paradigmes sur lesquels repose l’ensemble des outils présentés plus bas.
Les nuages entourés de rouge présentent les outils de Goldratt… ;-)
Ce qui nous amène à la conclusion que Goldratt est un des contributeurs les plus importants sur les outils et plus précisément sur les méthodes qui exploitent l’approche systémique.
Pour terminer sur cette carte, je souhaiterais apporter quelques précisions :
- A savoir que la carte n’est pas le territoire. Vous voyez ici une représentation, ou plus précisément ma représentation des choses.
- Il est simplement ici question de positionner les outils, je n’ai pas intégré de notion de popularité ni même d’efficacité, deux facteurs qui par ailleurs semblent difficiles à évaluer même si Goldratt semble se dégager du lot.
- Malgré mon souci de faire apparaitre les principaux contributeurs, cette carte n’a pas vocation a être exhaustive. D’autant plus que j’ai déjà identifié deux manquements important comme l’apport d’Ackoff et de Deming, deux contributeurs importants dont je ne connais que trop peu les écrits.
Enfin, ma conclusion…
Comme je le disais en introduction de ce billet, nous arrivons aujourd’hui au bout du bout de ce débat sur l’énigmatique Goldratt.
La rédaction de ces épisodes m’a amené à approfondir mes connaissances sur les outils de Goldratt et son histoire. Comme vous aurez pu le comprendre dans les tout premiers articles de cette série, je remettais grandement en question l’honnêteté intellectuelle de cet auteur qui ne cite jamais ses sources.
Aujourd’hui, force est de constater que de nombreux indices m’amènent à penser le contraire. J’ai maintenant la ferme conviction que Goldratt ne s’est que très peu intéressé au mouvement de la dynamique des systèmes qui s’est joué en parallèle de ses propres raisonnements. Et il faut bien l’avouer, les adeptes de la dynamique des systèmes se sont tout aussi peu intéressés aux travaux de Goldratt.
Les premières mentions de Goldratt (que j’ai pu retrouver) apparaissent dans un article issu d’une conférence dispensée en 1994 puis une autre en 1999. Par ailleurs, les livres de systémiques qui reprennent la référence de « The Goal » sont également relativement rare et plutôt récents : « Seeing the forest for the trees » en 2002, « Systems Thinking : Managing Chaos and Complexity » en 1999.
A ce manque de mentions de part et d’autre, il y a surtout les trop grandes imprécisions sur certains points (comme l’inhérente simplicité qui sort du chapeau de la complexité comme par magie, comme le thinking process qui se limite en boucles de rétroaction, de peur de ne pouvoir retomber sur les causes racines) et les limites, voire les erreurs, de Goldratt sur certaines thématiques comme le caractère dialogique des systèmes (cf mon article sur l’evaporing cloud). Il faut bien l’avouer, si Goldratt s’était inspiré de la pensée systémique, il aurait intégré ces notions et corrigé ces écarts…
Pour autant, Goldratt n’a pas travaillé en totale autonomie. Ses premiers travaux ont été présentés en 1980 (4 ans avant la parution de « The Goal ») lors d’une conférence organisée par l’APICS. L’APICS est une association qui oeuvre pour le déploiement des bonnes pratiques de la supply chain auprès des industriels et des praticiens. Cet organisme contribue par exemple à l’utilisation de solutions comme le flow casting et le CPFR, solutions par ailleurs présentées dans les ouvrages de Goldratt comme des solutions mafieuses.
Je pense donc que Goldratt est parti de ses connaissances de physicien pour penser l’entreprise comme un système. À partir de là, il a développé ses outils et ses méthodes sur la base de cas concrets de l’industrie. Embarqué dans sa prophétie pour sa pensée et emporté par la réussite de son oeuvre, il n’a jamais pensé à mettre à jour son logiciel originel. Et je crois que c’est bien dommage, car cela nous prive d’outils encore plus efficaces, plus robustes, et surtout plus universels.
Mais comme le dit si bien Egard Morin (Dans la méthode Tome 1) :
« Il est aisé de dépasser le passé, mais non de dépasser ce qui fait dépasser le passé. »
Goldratt a construit tous ses travaux sur la remise en cause de ce qui le précédait. Lors de ce travail, il a bâti son propre filtre de perception qu’il a fait cheminer toujours dans la même direction. Il est maintenant prisonnier de son oeuvre… Il ne nous reste plus qu’à attendre le prochain Goldratt qui saura intégrer les avancées de la pensée complexe dans les outils du management comme a su le faire Goldratt à son époque à partir de la cybernétique.
Mais pour exister, ce nouveau Goldratt devra se battre contre les disciples et le mouvement de son prédécesseur… Ainsi l’en est de la structure des révolutions scientifiques.
2 commentaires
Bonjour,
Simplement pour vous féliciter !
Cette série de posts sur la Théorie des Contraintes est extrêmement riche.
Je travaille actuellement sur une thèse de doctorat en comptabilité de gestion et je vous confirme que Goldratt n’a rien inventé dans la matière avec le Throughput Accounting. D’ailleurs, Goldratt n’a pas beaucoup écrit dans le domaine de la comptabilité de gestion. Le Throughput Accounting est essentiellement constitué d’outils existants depuis de longues années (les méthodes de coûts variables). La différence essentielle étant que les coûts de main d’oeuvre sont considérés fixes et que les dépenses sont enregistrés plus tôt dans le compte de résultat (plutôt que mises au bilan dans les comptes de stocks). Mais finalement, ça change quand même beaucoup les habitudes des fonctions financières…
Je reviens également sur l’evaporating cloud. Je ne pense pas que l’ambition de cet outil soit de résoudre tous les conflits systémiques, mais plutôt de verbaliser les problèmes qui se présentent. Ce qui a le mérite de concentrer les efforts sur la résolution de ceux-ci.
Une contribution d’Alan Barnard dans le livre « TOC Handbook » est tout à fait explicite. Il prend l’exemple d’un autre conflit difficilement solvable : faut-il centraliser ou décentraliser la gestion d’une organisation ?
Enfin, sur les relations du triptyque « Client-Actionnaire-Salarié », Goldratt a commencé par dire que l’actionnaire était prioritaire et que le but était de gagner de l’argent. Puis, ont été ajoutées les conditions nécessaires… Lorsque je lui ai posé la question lors d’une conférence au Japon (je précise qu’à l’époque je travaillais dans une entreprise sous LBO – actionnaire interventionniste et court termiste), il a esquivé la question en répondant que les actionnaires étaient en train de changer (??) et qu’ils comprenaient l’intérêt de privilégier le long terme et les relations WIN-WIN-WIN…
Posté le 12 août 2010 à 9 h 51 min
Bonjour Jaeck et merci pour l’éclairage que vous apportez…
J’en profite pour saluer votre travail et notamment l’édition de votre livre Une nouvelle vision de la comptabilité de gestion : Pour manager synchronisé !
qui m’a été d’une grande aide pour la rédaction de ces articles…
Au plaisir.
Florent.
Posté le 12 août 2010 à 11 h 23 min