L’énigmatique Goldratt – Episode 4 – Evaporing Cloud
(Ce post s’inscrit dans une suite d’articles où je tente de démontrer que les travaux de Goldratt reposent sur le paradigme de la systémique. Vous pouvez retrouver l’ensemble des articles à partir de ces liens : Episode 1 – La TOC, Episode 2 – L’inhérente Simplicité, Episode 3 – CRT & Thinking Process, Episode 4 – Evaporing Cloud, Episode 5 – Conclusion de l’apport de Goldratt ).
S’il y a bien un outil de Goldratt pour lequel il est difficile de lui retirer la paternité, c’est bien le nuage de résolution de conflit, Evaporing Cloud in english dans le texte…
Le fonctionnement du nuage de résolution de conflits
D’un premier abord, cet outil de formalisation de conflit semble plus que pertinent ! Il permet en effet de montrer comment l’atteinte d’un même objectif peut conduire à des actions antagonistes.
Voici un premier exemple issu du livre de Pierre Jaeck « Une nouvelle vision de la comptabilité de gestion » :
Le nuage se lit ainsi : D’un côté, pour obtenir « une organisation en bonne santé », nous devons « augmenter la compétitivité de l’organisation », et pour cela nous devons « diminuer les stocks ». D’un autre côté, nous devons également veiller à « ne pas remettre en cause la profitabilité de l’organisation » et pour cela nous devons veiller à ne pas tomber en rupture et donc à « ne pas diminuer les stocks ».
Nous sommes donc là devant un conflit : Diminuer ou Ne Pas Diminuer les stocks.
Pour que vous puissiez vous familiariser avec cette gymnastique, voici un deuxième exemple issu de « The Cash Machine » de Richard Klapholz et Alex Klarman :
Ce nuage de résolution de conflit se lit ainsi :
Pour « obtenir une exploitation efficiente », il faut, d’un coté « s’assurer que les dépenses inutiles sont bloquées aussi tôt que possible », et pour cela nous devons « contrôler les coûts à chaque étape du processus ». D’un autre côté, nous devons également nous « assurer que le business n’est pas ralenti ou retardé par des activités inutiles » et pour cela nous devons nous prévenir de toute introduction de contrôles des coûts trop contraignants ».
Pour résoudre les conflits qui se présentent lors de la prise de décision, Goldratt préconise de formaliser le conflit sous cette forme. A partir de ce postulat, il préconise de se demander si ces axiomes sont réellement fondés.
Si nous reprenons ce dernier exemple, nous nous poserions la question suivante :
Pour « S’assurer que les dépenses inutiles sont bloquées au plus tôt », est-il VRAIMENT nécessaire de « mettre en place un contrôle des coûts à chaque étape du processus » ?
Dans le récit de « The cash machine » le personnage répond : « Non ! », il explique ensuite que depuis 3 ans, il n’a jamais vu une seule commande annulée. Aussi le fait de bloquer les commandes ne résout en rien la nécessité de s’assurer qu’il n’y a pas de dépenses réalisées inutilement.
Ainsi Goldratt nous amène à penser qu’il n’y a jamais réellement de conflit qui ne puisse se résoudre. La formalisation du nuage nous permettant de mettre au clair la nature du conflit pour mieux le résoudre en écartant la vraisemblance d’une des deux branches.
Mais l’utilisation du nuage de résolution de conflit est-elle universelle ?
Avec cette méthode systématique (et non systémique) de résolution de conflit, nous sommes amenés à penser que tous les confits peuvent se résorber de la sorte.
Pourtant, c’est Goldratt lui-même qui va faire amende honorable dans « Réussir n’est pas une question de chance » où il fait formaliser par le héros Alex (le héros du But) le nuage de résolution de conflit suivant :
Ce conflit met en avant la difficulté à concilier les intérêts des actionnaires et des salariés. Tout le long du livre, ce conflit va rester irrésolu jusqu’à la fin où le héros va en conclure que pour atteindre LE BUT de l’entreprise (gagner de l’argent aujourd’hui et dans le futur), il faut intégrer les « conditions nécessaires », que sont la satisfaction des actionnaires et des salariés.
Ainsi apparait la notion de « condition nécessaire » quand les conflits ne peuvent être résolus…
Personnellement, cette brèche m’amène à me poser beaucoup de questions :
À partir de cet exemple, que doit-on penser de l’efficacité universelle du nuage de résolution de conflit ? Cet exemple est-il l’exception qui confirme la règle ? Sinon, dans quel cas doit-on en finir par conclure que ce sont des conditions nécessaires ? Et si ce sont des conditions nécessaires : comment résoudre le conflit qui semble subsister ?
D’autres exceptions pour infirmer la règle…
Voici deux nuages que je me suis amusé à réaliser sur la base de mes connaissances en innovation (un autre de mes dadas…) ;-P
Pour ces deux nuages, j’ai beau appliquer la méthode de Goldratt, je n’arrive pas à résoudre les confits. Je suis persuadé que certaines personnes ont une idée de la façon de résoudre le conflit. Ils n’auront alors pas tort puisque la résolution du conflit dépend avant tout de notre cadre de référence (qui se constitue de notre expérience, de nos connaissances, de nos savoir-faire…etc.).
D’ailleurs un actionnaire qui verrait le nuage de résolution de conflit entre les intérêts à préserver de l’actionnaire et du salarié, aura vite fait de résoudre le conflit.
Ce que je veux dire par là, c’est que la résolution de conflit est avant tout une question de perception des protagonistes. Maintenant, si je vous dis que je n’arrive pas à résoudre ces deux conflits, c’est que je me positionne à un autre niveau que celui de ma perception ou de mon personnel. J’aurai pu faire une dizaine de nuages où, à mon sens, le conflit ne se résout pas ! En fait, c’est simple, il suffit de s’appuyer sur la nature dialogique des systèmes et de réfléchir à la façon dont cela pourrait se répercuter dans la vie de l’entreprise.
Goldratt, bon cybernéticien, piètre systémicien…
En cybernétique, les choses sont carrées : un système a un et un seul but (tiens ça me rappelle quelque chose). Ainsi, les systèmes n’abritent pas d’antagonismes et donc la résolution de conflit se fait dans tous les cas, et quand elle ne se fait pas, nous en déduisons des conditions nécessaires (comme les deux branches d’un CRT qui seraient entourées pour définir que les conditions s’ajoutent). Et hop, le tour est joué, messieurs les contradicteurs, disparaissez ! ;-P
Mais après la cybernétique, la pensée systémique puis la pensée complexe ont fait émerger les facultés dialogiques des systèmes… J’en rappelais quelques-unes dans un article précédent :
- Tout système est à la fois tout et partie
- Tout système est à la fois fermé et ouvert
- Tout système est à la fois autonome et dépendant
- Tout système est à la fois stable et instable
Et c’est à partir de là que je m’interroge de moins en moins sur le personnage de Goldratt… Puisque s’il s’était vraiment inspiré de l’approche systémique et de la pensée complexe (La nature de la nature, premier tome de la méthode d’Edgar Morin remonte à 1977), il aurait intégré ces notions dans ses méthodes et ses outils.
Ainsi l’entreprise est un système à multi-finalités qui ne s’enferme pas une voix unique qui consiste à faire de plus en plus d’argent aujourd’hui et à l’avenir. Au contraire, l’entreprise trouve son sens dans son ouverture sur une boucle tétralogique où 3 buts sont à la fois indissociables, complémentaires, antagonistes et concurrents :
- Assurer des bonnes conditions de travail aujourd’hui et dans le futur
- Gagner de l’argent aujourd’hui et dans le futur en proposant des produits en phase avec les besoins du marché
- Assurer une rentabilité financière aujourd’hui et demain pour les actionnaires
Voici une proposition de représentation de cette boucle tétra-logique… ;-)
Conclusion sur l’utilisation de l’evaporing cloud…
Assurément, j’utiliserai la représentation de nuage de résolution de conflit ! Il est très parlant et c’est bien ce que nous attendons d’un outil de représentation. En revanche je me garderai bien de l’utiliser pour résoudre lesdits conflits tant le contexte de son utilisation parait hasardeux…
Voilà, j’espère que cet article aura éveillé votre intérêt ! ;-) N’hésitez pas à laisser des commentaires pour me dire ce que vous pensez de tout ça… De la méthode de résolution de conflit de Goldratt jusqu’à la magnifique (oui il n’y a pas d’autres mots ! ;-P) boucle tétra-logique qui présente la multi-finalité du système entreprise.
A très bientôt pour le prochain épisode qui tentera d’éclaircir ce qui relève de la systémique dans l’œuvre de Goldratt.
1 commentaire
Voici la recension d’un échange (qui me semble assez intéressant pour être repris ici ;-)) que nous avons eu avec Joel-Henri sur son Hub viadeo dédié à la TOC (http://www.viadeo.com/hub/affichefil/?hubId=0021mqy2ylpp6blm&forumId=0022376men07kj62&threadId=002299e5olcsxu4#002299e5olcsxu4), Joël-Henri répond à ma proposition d’un système à trois buts par ce message :
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3 buts ???
http://s5.tinypic.com/260etm8.jpg
Bien amicalement:)
Joël-Henry
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Voici la réponse que j’apportais…
Comme tu le disais l’autre soir, les analogies ont leurs limites…
J’ajouterais que les analogies, c’est un peu comme les chiffres, on peut leur faire dire ce que l’on veut ! ;-)
Mais bon, j’avoue qu’elle est bien trouvée ! Et puis c’est de bonne guerre… ;-P
Est-ce que je peux te poser une question ?
- Quel serait à ton sens, LE BUT de l’Homme ?
Le débat tourne à la question philosophique… mais peut-être est-ce un détour nécessaire à l’arbitrage entre finalité unique et multifinalité… :-)
Car en effet, il n’est pas aisé de trouver une seule finalité à l’Homme…
Mais mon idée n’est pas de nous amener dans une voie sans issue. ;-)
Faisons simple :
- L’Homme en tant qu’animal a un premier but : celui de vivre.
Pour cela par exemple, il conduit un processus qui consiste à se nourrir.
Manger pour vivre, voilà une première finalité.
- Maintenant, si l’Homme mange pour vivre, nous savons aussi qu’il vit pour manger. Avec la belle andouillette avec laquelle tu t’es fait plaisir l’autre soir, mon cher Joel, tu ne me contrediras pas ! ;-P
Ainsi, nous obtenons une deuxième finalité qui consiste à Vivre pour jouir.
- Maintenant, si nous replaçons l’Homme au sein de l’humanité, nous sommes face à une troisième finalité, celle de se reproduire pour vivre.
Je vous propose de nous arrêter là…
Vivre, Jouir, Se Reproduire ne constituent-ils pas 3 buts propres à l’Homme ?
Si l’Homme n’a qu’un seul but, lequel des trois doit prendre le dessus ? Lesquels vont « passer à la trappe » et se voir relayer au rang de « conditions nécessaires » ?
Au plaisir.
Posté le 22 juillet 2010 à 19 h 02 min